La goutte qui fit déborder le coeur...

     Il est de ces regards que l’on oublie jamais ; en se croisant pour la première fois dans les escaliers du lycée, le premier « je t’aime », le dernier que l’on échange quand on sait que tout est fini…
Il était là, entre deux rayons du supermarché, ce regard qui remplaçait tous les mots. C’était celui de Mathys. […]
       Nous nous étions donnés quelques semaines de réflexion après ces retrouvailles inattendues. Quatre ans s’étaient écoulés depuis la plus douloureuse séparation de notre vie. Nous avons cru être prêts à l’époque, pour tout ce que l’on avait planifié - me disant aujourd’hui que nous ne le serons probablement jamais - mais nous avions au moins grandi depuis et gagné en expérience ainsi qu’en maturité.
        Nous nous étions finalement fixé une date, vendredi 9, et un endroit, le terrain vague à côté de la maison de ma Grand-mère où on s’était dit au revoir. J’avais perdu mon meilleur ami et l’amour de ma vie le même jour et je ressassais ces instants en me préparant. Je n’étais sûre de rien…pas même de ce que je ressentais.
      J’arrivai sur les lieux, il n’y était pas encore. Le ciel était menaçant et le temps me paraissait horriblement long. Je ne cessais de regarder nerveusement l’heure sur mon téléphone. Avait-il changé d’avis ? Était-ce une erreur ? Quelle serait l’issue de tout cela ?
Je m’assis sur une dalle en béton, fermai les yeux, posai ma tête entre mes mains en respirant un bon coup. J’entendis, quelques instants plus tard, des bruits de pas se reprocher de moi. Je levai la tête et le vis face à moi, la mine sérieuse. Sans échange de politesse il m’incita à lui dire tout ce que j’avais sur le coeur. 

« - Oui, j’ai réfléchi à tout ça. Commençai-Je.
Je t’en ai voulu, j’étais pleine d’incompréhension…Je me suis demandée comment on avait pu en arriver là mais j’ai décidé il y a longtemps de te pardonner et de me pardonner également.
Quelque chose s’est brisé entre nous parce qu’on n’avait plus le recul nécessaire pour se mettre à la place de l’autre afin de comprendre les choses de son point de vue. On a laissé tomber parce qu’on était démuni face à cette distance qui se creusait chaque jour davantage. On n’aurait jamais pu survivre à nos départs respectifs dans ces conditions. J’ai beaucoup de regrets et de craintes. Je regrette notamment de ne pas avoir su voir à quel point tu étais brisé et que tu faisais ton possible compte tenu de la situation. Je ne sais pas si je suis prête…même si le risque en vaut peut-être la peine…mais si on se choisit je te dirai que je ne peux pas soigner tes blessures mais que je peux être là pour t’aider à le faire et te rassurer. Je comprends tes insécurités et y ferai attention. On ne se possède pas, on se choisit librement avec confiance. C’est ce que j’ai toujours promis et que je promettrai encore, ma loyauté sans faille mais aussi cette fois-ci, de m’appliquer à mieux t’écouter, t’observer et te comprendre.
Avant nous nous inquiétions de ce qui pouvait mal se passer. J’aimerais maintenant me concentrer sur ce qui pourrait arriver de meilleur. Si c’est ce que toi tu veux. »

Il se retourna, les mains posées sur la tête puis pivota de nouveau avant de se lancer.

« - Mon comportement n’était pas en accord avec ce que je ressentais…Tu as toujours compté mais quelque part j’essayais de me protéger…pas de toi mais de la douleur de mes blessures. On ne peut pas changer ce qui s’est passé.
J’en ai envie mais j’ai aussi cette crainte de retrouver à nouveau tout ça, de me sentir heureux et de tout perdre…mais je sais qui tu es, j’ai toujours eu confiance en toi je sais que tu as fait de ton mieux et que tu le ferais encore parce que tu es comme ça, gloussa-t-il. Tu sais ce dont je me souviens ? Ta manie de glisser des petits mots dans mes affaires et de me mordre pour aucune raison valable, m’embrasser sur le front quand je suis contrarié, t’asseoir en face de moi quand je suis fâché et me regarder avec insistance jusqu’à ce que ta tête de teletubies me fasse rire. Débarquer en pyjama à 1h du mat avec de la bouffe parce que je déprime. Tes fous rires incompréhensibles… »

J’étouffai un rire et me sentis émue au point de verser une petite larme que je m’empressai de balayer avec la main.
Il se mit à pleuvoir. Je n’eus jamais autant aimé la pluie. Il m’a semblé la voir emporter avec elle toute forme d’inquiétude.
 Il colla son front au mien et d’une main posée sur sa joue je compris que plus un seul mot n’était nécessaire.
Il est de ces regards que l’on oublie jamais et à ce moment précis il avait signé le début d’un nouveau départ.

Ness
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